En septembre 2014, Jean-Marc E.Roy m’a envoyé le scénario de son film hybride, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, entre l’hommage et la reconstitution. En le lisant, j’ai tout de suite su que j’avais devant moi une proposition rare, unique, et audacieuse. Le scénario que Jean-Marc me proposait était un long mouvement ininterrompu, une sorte de voyage à l’intérieur de la tête d’un cinéaste incorruptible, l’un de ceux qui ont marqué la culture québécoise : Marc-André Forcier dit André Forcier. Et quel projet de rêve pour un directeur photo que de refaire 15 tableaux inspirés des 15 films de Forcier, avec les références et les comédiens d’origine! Nous allions donc revisiter l’intégralité de sa filmographie avec comme seul et unique guide, le créateur lui-même. Nous allions rendre hommage à tous ses fantômes qui errent toujours, quelque part, entre notre imaginaire collectif et les souvenirs flous d’un homme qui tranquillement se prépare à les rejoindre.

La cinématographie de Forcier s’échelonne sur une cinquantaine d’années et si on pense à sa direction photo, elle a évolué au même rythme que les différentes technologies et techniques à travers le temps. Les directeurs photo qui ont suivi cette évolution et collaboré avec Forcier sont nombreux et diversifiés (André Jobin, François Gill, André Turpin, Georges Dufaux, Alain Dostie, André Gagnon et j’en passe). Au départ, nous avions beaucoup d’ambition. Nous voulions utiliser, pour chacun des tableaux, les caméras et les objectifs d’origine de chaque film, les formats de cadre, les lieux, les lampes d’origines, les mêmes plans. Puis après quatre refus de la SODEC, nous avons dû nous raviser et réévaluer notre stratégie… L’avantage, s’il y en a un, c’est que cela nous a poussé à être plus créatifs et à mieux réfléchir à l’essentiel du film.

Rendre hommage ne veut pas dire faire du mimétisme. Vouloir refaire certaines scènes des films d’André, c’est aussi réinventer son univers, se le remémorer de la même façon qu’il nous a marqués et, finalement, de se le réapproprier. Parfois par des scènes très précises, des lieux, des actions, mais d’autres fois, seulement par un clin d’œil, une ambiance, une émotion. Et plus le film avance, plus ce sont certains détails, objets, lieux, répliques qui se répondent entre eux, avec les éléments de ses autres films, des personnages qui voyagent d’un film à un autre et qui finissent par se mélanger dans un univers dépareillé, mais cohérent.

En revoyant les films de Forcier, j’ai compris que ce qui était important ce n’était pas l’exactitude de chacun des plans, mais la fluidité avec laquelle André allait se promener d’une scène à une autre. Comme André, nous voulions que la caméra se promène dans le tableau, constate et laisse vivre certains moments, puis reparte par la suite. Je voulais que l’on ressente l’errance du cinéaste. Je voulais que le spectateur partage aussi cette errance. Nous avons donc fait beaucoup de longs et lents mouvements. Certains de ces plans sont restés dans le film dans leur intégralité (Night cap, Une histoire inventée, Bar Salon).

Jean-Marc et moi avions décidé d’être intransigeants sur deux aspects de la direction photo en référence à l’œuvre d’origine, soit le ratio du format de cadre ainsi que le noir et blanc versus la couleur. Le style d’éclairage variant beaucoup d’un film à l’autre, j’ai essayé de rendre hommage à chacun de ceux-ci tout en gardant une fluidité et une ligne directrice claire durant tout le film. J’ai utilisé des « Baselights » assez forts pour travailler avec une ouverture autour de T4 et demie et j’ai opté pour un zoom Cooke 20-100 T3.1, plutôt vintage et doux, qui aidait à casser le style très vidéo de l’image de la Sony F55. Lorsque nous devions faire de l’épaule, nous utilisions des Zeiss Contax rehoused qui ont une personnalité semblable à celle du zoom. Le coloriste de chez Post-Moderne, Charles Boileau, Jean-Marc et moi avons cherché pendant très longtemps le grain exact qui finirait dans chacun des tableaux afin de nous rapprocher le plus possible du look original. L’utilisation de la fumée et des filtres de diffusion (Pearlescent et GlimmerGlass) nous a aussi servi à casser la vidéo et à créer un peu de « halation » autour des sources.

Finalement, le recul me permet de voir ce projet sous son plus bel angle. Malgré le manque de temps (12 jours de tournage, dont deux pour les entrevues et un pour une scène coupée), le manque d’argent (quatre refus SODEC et Téléfilm) et le manque d’effectifs (trouver des techniciens pour tourner sur cinq blocs, en différé, à l’automne…), force est de constater qu’autant les comédiens que les techniciens ont participé à ce film avec tout leur cœur et leur amour pour le cinéma. Nous avons eu tous les défis du monde à relever afin d’arriver au résultat que l’on peut voir aujourd’hui et je peux dire que j’éprouve une grande joie à écouter ce film, car il fait un bien énorme à mon âme de cinéaste. Entendre cet homme nous parler de son amour pour le cinéma d’auteur me fait toujours le même effet et me pousse à vouloir continuer ce métier qui est le mien, et que j’adore.

Merci Jean-Marc pour ta confiance.

Merci Julie pour ta compréhension.

Merci Philippe pour ta sensibilité.

Merci André pour tes films.

Et merci à tous les techniciennes et techniciens qui m’ont aidé dans ce projet. Cette nomination au gala IRIS pour la meilleure direction photo documentaire vous revient en très grande partie: Philippe Robitaille, Brice Bodson, Manuel Daigneault, Alexis Vallée Charest, Tom Parisé-Cormier et Hugo Ferland. Véronique Dagenais, Rafi Leuwenkroon, Maxime Boutin, Shawn-Ann Ribotti, Gabriel Fortin-Taillon, Marie-Ève Gosselin et Jean-Sébastien Caron.


Alexandre Lampron est en lice pour l'Iris de la Meilleure direction de la photographie | Film documentaire pour son travail sur Des histoires inventées de Jean-Marc E.Roy.

Consultez ce lien pour connaitre tous les finalistes du Gala Québec Cinéma.

 Crédit photo : Nadine Gomez

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