Dans le paysage cinématographique québécois, Christian Mathieu Fournier se démarque comme un véritable artiste de l'image documentaire. Son parcours atypique et sa vision unique font de lui une figure incontournable du 7ème art au Québec.
Un article de Ben Yahaya Coulibaly et Laury Latreille

De l'enseignement au cinéma : une révélation tardive
Contrairement à de nombreux cinéastes, Christian n’a pas toujours rêvé de faire des films. Professeur de français au secondaire en 1966, c’est en découvrant une œuvre que sa vocation s’est déclenchée : « Lors d’un cours, j’ai vu un film de Pierre Perreault, un des plus grands documentaristes au Canada, puis ça s’est produit comme un éclair ».
De cette expérience née une véritable passion pour le 7ème art, le poussant vers un retour aux études en cinéma. Ainsi, Christian fait ses premiers pas dans le milieu en tant que caméraman pigiste à Montréal. Il se rend rapidement compte que « c’est bien beau être caméraman pigiste, mais ça prend beaucoup de temps et de disponibilités ». Le réalisateur en devenir décide alors de se consacrer entièrement au documentaire, à « vivre pauvrement, mais avec passion ».
Ben : Qu’est-ce qui vous a attiré vers le documentaire, en particulier?
Christian : J’aimais voir les gens avoir un rapport direct avec leur propre identité […] À un moment pour un acteur, il y a des limites, tandis que dans le documentaire, si la personne est vraiment liée à son territoire, elle est capable de vivre l’émotion authentiquement.
Une signature visuelle inspirée des maîtres
Christian Mathieu Fournier est particulièrement reconnu pour son style de caméra, dont il doit en grande partie à l’influence de Michel Brault.
« C’est vraiment par le cadrage que je me suis intéressé au documentaire. D’ailleurs, quand j’ai découvert les œuvres de Pierre Perrault, ce ne sont pas nécessairement les œuvres en tant que telles que j’ai aimées, mais surtout le cadrage, et c’est Michel Brault qui est derrière tout ça »
Les Vues du Fleuve : une aventure à deux
C’est à la suite d’une rencontre dans un festival, en 2004, que Nadine Beaudet et Christian Mathieu Fournier ont vécu un vrai coup de foudre amoureux et artistique.
Habités par le même désir de faire des films sur la région, et de vivre en région, Christian et Nadine ont fondé, en 2012, leur propre compagnie de production LES VUES DU FLEUVE. De fil en aiguille, les cinéastes ont réalisé plusieurs films s’échangeant les chapeaux à tour de rôle : la caméra, la production, le son, la réalisation. Cette compagnie a donné naissance à de nombreux projets significatifs : LA MAISON DES SYRIENS, NALLUA, L’ANGE DES GRONDINES, pour en nommer quelques-uns.

Ben : Est-ce que le processus de création et de production est différent lorsque vous travaillez ensemble?
Christian : Comme dans tout, quand on est seul, on peut explorer, c’est plus personnel. Cependant, on se rend compte qu’avec l’expérience et en se connaissant beaucoup, on est capable de laisser la place à l’autre. Certains films me sont plus chers qu’à elle, d’autres l’intéresse plus elle que moi.
Éveiller les consciences, un film à la fois
Au long de sa carrière, Christian a abordé des sujets variés, tout en gardant une sensibilité particulière aux enjeux sociaux et humains. Son film, NALLUA, n’est pas une exception.
Ben : Comment avez-vous découvert cette histoire, qu’est-ce qui vous a poussé à en faire un documentaire?
Christian : C’est un peu une histoire de chance. Dans mon petit village, il y avait une biologiste à l’Université de Trois-Rivières qui faisait une étude sur l’Ile Bylot, où plusieurs personnes sont décédées en l’espace de deux jours. Elle a décidé de se rendre sur place, et m’a demandé de la suivre avec ma caméra. J’y suis allé, puis on a réalisé qu’il y avait un film à faire avec cette histoire. On a entamé un processus de financement, puis nous avons pu y retourner deux fois.
Ben : Est-ce que vous pensez que le film a contribué à la guérison, à la compréhension de la communauté concernant les événements?
Christian : Je crois que c’est un film qui a fonctionné, puisque c’est un film qui parle d’injustice. Les elders sont des femmes ayant comme mandat de transmettre la mémoire d’un peuple. Cette génération, ayant eu beaucoup de problèmes, a donc laissé la tâche aux petits enfants de préserver les traditions. J’ai eu la chance d’aller présenter le film sur le territoire Iqaluit. Ça a sensibilisé les gens, leur a fait comprendre que pour le bien de leur identité, la préservation de leurs coutumes est essentielle. Dans un sens, je dirais que le film a éveillé les gens.
Vers de nouveaux horizons
Plus récemment, sont film EN ATTENDANT CASIMIR marque une exploration expérimentale pour Christian Mathieu Fournier, mêlant influences littéraires, théâtrales et picturales.
« Je me suis toujours dit qu’une fois dans ma vie, je devais explorer quelque chose de très singulier », affirme-t-il.
Inspiré par l'absurdisme de Samuel Beckett et influencé par les oeuvres d'Albert Camus, le réalisateur crée un univers unique au sein d'une résidence pour personnes âgées à Saint-Casimir. Le thème central du film tourne autour de l'attente - attente de la mort, attente de Casimir, une présence énigmatique qui plane sur la résidence. Cette attente, paradoxalement, met en lumière la valeur du moment présent.
Fournier pose avec cette oeuvre une question provocante : ces résidents, dans leur attente apparemment passive, seraient-ils plus heureux que nous?
L'avenir du documentaire québécois
Interrogé sur l’avenir du documentaire au Québec, Christian Mathieu Fournier se montre à la fois enthousiaste et réaliste. Il constate une évolution du genre, un « mariage au niveau des formes » et des influences venues d’autres médiums.
Malgré les défis, le cinéaste reste passionné par son métier, par les rencontres qu’il permet. Pour lui, le moment le plus gratifiant « ça reste la première au cinéma, quand les gens qu’on a filmé pendant plusieurs semaines arrivent en salle et se voient enfin au grand écran ».
Actuellement, Christian travaille sur un nouveau projet avec Nadine Beaudet. Ce prochain documentaire sur l’itinérance invisible suit des gens vivant dans une école primaire transformée en centre d’accueil pour personnes en situation d’itinérance.
Christian Mathieu Fournier continue d'enrichir le cinéma québécois avec son regard unique, prouvant que la passion et l'authenticité sont les véritables moteurs de la création documentaire.